jeudi 12 août 2010

Et bien dansez maintenant ou l'étrange épidémie de danse de 1518


Il y a de ces phénomènes étranges qui arrivent comme ça, parfois. Comme cette épidémie de danse collective et délirante qui toucha des centaines d’habitants de la ville de Strasbourg, ville appartenant alors au Saint Empire Romain Germanique, en juillet 1518.

Une femme, Frau Trofea, aurait d’abord été prise d’une fièvre dansante. Elle dansa plusieurs jours contre sa volonté, sans pouvoir s’arrêter, comme si une force mystérieuse l’a poussait dans sa transe. D’autres la suivirent, poussés également à danser par une volonté qui leur échappait. D’une trentaine de personnes en quelques jours, ils passent à plusieurs centaines (400 !) en un mois. La plupart de ces danseurs damnés sont morts à force de danser, suite à des attaques cardiaques ou encore d’épuisement.

Les autorités étaient résolues à traiter le mal par le mal, en pensant que la seule façon de guérir ces malades atteints de la danse était de les pousser à danser encore plus. C’est ainsi qu’on mit en place des lieux publics afin d’accueillir les condamnés et où se trouvaient des musiciens ainsi que des danseurs professionnels pour accompagner les malades.

Les sources historiques - des notes de médecins, des sermons, ou encore des chroniques locales et régionales convergent pour dire que les victimes de cette étrange épidémie ont bel et bien toutes dansées, sans pouvoir s’arrêter. Mais les sources sont peu loquaces quant à l’origine de cette fièvre de la danse. Cependant il semblerait que les victimes aient été comme forcées à danser, contre leur gré.

Suite aux premières vagues de l’épidémie de danse, on fit célébrer des cérémonies religieuses afin d’exorciser les démons dont on pensait être à l’origine de ce mystérieux mal. Les gens ont souvent appelé Saint Guy à l’aide qui est, d’ailleurs, devenu le saint patron des danseurs.

Le phénomène s’aggravant, les nobles locaux ont demandé l'avis de plusieurs médecins. Ces derniers exclurent les causes surnaturelles ou astrologiques, pensant que l'épidémie était plutôt liée à une maladie naturelle causée par une forte chaleur du sang.

Au moins sept autres épidémies du même type ont été recensées dans l’Europe médiévale, principalement autour de la région de Strasbourg. Plus récemment, on peut citer un cas semblable qui eut lieu à Madagascar dans les années 1840. D’après les sources médicales des gens ont « dansé follement, dans un état de transe, convaincus qu’ils étaient possédés par des esprits ». Un autre cas intéressant est celui d’une épidémie de fou rire qui aurait eu lieu en Tanzanie en 1962.



Plusieurs hypothèses ont été avancées pour tenter d’expliquer cette épidémie de danse. Tout d’abord Eugène Backman, auteur de Danses Religieuses dans l’Eglise chrétienne et dans la médecine populaire (1952) voit une cause biologique à l’origine du phénomène. Pour lui c’est l’ergotisme qui serait le principal responsable. Causé par l’ingestion de seigle infecté par l’ergot, il provoque des hallucinations et des convulsions.

Un autre chercheur, l’historien John Waller a une explication différente. Il estime que l’origine de l’épidémie serait un syndrome psychogénique de masse, soit une forme d’hystérie collective causée par les conditions de vie difficiles et l’extrême détresse psychologique des individus. En effet, la région avait été victime d’une importante famine qui causa des décès en masse, et pour les survivants il ne leur restait plus qu'à tuer leurs animaux, à s’endetter en faisant des emprunts, à mendier… En plus des pénuries alimentaires, le peuple devait faire face à de violentes épidémies (lèpre, syphilis, variole, etc.). Cette série d’évènements aurait donc pu être à l’origine du syndrome psychogénique de masse.

Au-delà de leur intérêt médical, Waller estime que de telles épidémies, notamment celles survenues les siècles passés, sont « d’une valeur historique inestimable». On peut en effet les considérer comme des informations importantes concernant l’évolution des mentalités, et comment les hommes, en ce Moyen Age tardif, vivent l'insolite et réagissent face à des phénomènes extraordinaires. Pour Waller cela nous montre également jusqu’à quels extrêmes la peur, ou l’irrationalité peuvent mener. De plus, il ajoute que c’est l’un des rares phénomènes permettant de montrer le potentiel extraordinaire de l’esprit humain.


The Dancing Plague of 1518


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